Prisons privées et immigration aux États-Unis : un secteur lucratif sous pression et critiques des droits humains
Contexte et chiffres clés
Une analyse du recours aux prisons privées dans le cadre des politiques migratoires américaines s’appuie sur le témoignage de détenus et sur des chiffres publics. Ángela, originaire du Mexique et mère de deux fils, a été arrêtée un dimanche de juillet après avoir franchi un feu rouge, et trois véhicules des services d’immigration l’ont encerclée. Elle préfère garder l’anonymat et n’a pas de statut régulier. Arrivée aux États‑Unis dans les années 1990, elle exploite un salon de coiffure et appartient à des dizaines de milliers de migrants contrôlés par l’ICE depuis l’élection de Donald Trump. Actuellement, environ 60 000 personnes seraient détenues dans des centres gérés par l’agence.
Le témoignage d’Ángela à Adelanto
Témoignage et conditions de détention
Après son arrestation, Ángela a passé sa première journée et sa première nuit dans un espace froid, qu’elle décrit comme le « congélateur ». On lui aurait demandé de signer un document qu’elle ne comprenait pas, et elle a refusé de le signer de peur qu’il s’agisse d’un acte d’expulsion. Elle a ensuite été placée à l’isolement et sa demande d’appel téléphonique vers un avocat ou ses enfants a été rejetée. Même après la levée de l’isolement, les conditions de détention ont pesé sur elle, notamment l’incertitude persistante et une nourriture jugée peu mangeable.
Le profit des prisons privées
De nombreux centres destinés à l’immigration fonctionnent sous contrat avec l’État et sont gérés par des entreprises privées. Des organisations de défense des droits humains dénoncent la faim, le manque de soins médicaux, la violence et les tentatives de suicide, les accusant de privilégier le profit au détriment des droits fondamentaux des détenus.
Parmi les grandes sociétés du secteur figurent CoreCivic, basée au Tennessee, et Geo Group, basée en Floride. Toutes deux bénéficient directement des politiques migratoires en vigueur sous l’administration Trump. « En 42 ans d’histoire, nous n’avons jamais connu une telle demande pour nos services », aurait déclaré le PDG de CoreCivic lors d’une conférence avec des actionnaires, selon plusieurs médias.
Sur le plan financier, les cours des actions de ces entreprises ont progressé après l’élection présidentielle de 2024: CoreCivic valait 13,19 dollars le 4 novembre 2024, puis 23,94 dollars le 11 novembre 2024; près d’un an plus tard, le cours tourne autour de 20 dollars. Les demandes d’entretien auprès de CoreCivic et Geo Group sont restées sans réponse.
Des violences massives touchant aussi le personnel
Des informations sur des conditions inhumaines ont été corroborées par d’anciens employés. William Rogers, ancien surveillant dans un centre privé de l’ICE à Leavenworth (2016‑2020), explique avoir vécu des situations difficiles et affirme en porter les traces aujourd’hui. Il évoque des périodes où seule une partie du personnel était en poste, ce qui pouvait accroître les risques et les actes violents. Selon lui, un détenu aurait frappé un gardien avec un plateau‑repas et, dans un autre incident, un collègue aurait été poignardé et tué. Il rappelle que le centre a été affecté par ces tensions et que, sous l’administration Biden, le gouvernement n’a plus signé de nouveaux contrats avec ce type d’établissements. Leavenworth aurait été fermé en 2021 et certains estiment qu’il devrait rouvrir.
Impact politique et perspectives
Selon les intervenants, l’industrie profite des dynamiques de la politique migratoire. En mars, près de la moitié des personnes détenues dans les centres ICE n’étaient ni accusées ni condamnées d’un crime; en septembre, ce pourcentage atteignait 71 %. Cette configuration est citée pour expliquer la dynamique de rentabilité observée par les opérateurs privés. Ángela, pour sa part, a finalement bénéficié de l’aide juridique d’une organisation non gouvernementale; après deux mois, elle a pu rentrer chez elle. La peur pour ses deux fils a constitué l’un des défis les plus difficiles à surmonter durant cette période: « À part moi, ils n’ont personne pour s’occuper d’eux ».
La source principale de ces témoignages provient d’un reportage mené par SRF et cité par des partenaires francophones, apportant un éclairage sur la réalité des centres de détention privés et sur les implications humaines et économiques des politiques migratoires actuelles.
