Bernard Bourrit et le féminicide dans Détruire tout, premier roman — analyse et contexte
Contexte et origine du projet
En quête de pistes sur l’anarchisme, Bernard Bourrit prend connaissance d’une coupure de presse qui retient son attention. Le 4 juin 1967, dans un village du canton de Fribourg, un jeune homme éconduit pousse à l’explosion l’immeuble de son ancienne compagne.
Réflexion autour d’un fait divers
Dans Détruire tout, le roman entreprend d’interroger ce meurtre qu’on ne désignait pas encore comme féminicide à l’époque. Dans le même temps, certaines explications visaient à justifier la violence d’un homme envers une femme en évoquant la frivolité ou les mœurs jugées dissolues de la victime.
Cartographie d’un meurtre
Carmen, jeune femme qui n’avait pas vingt ans, est assassinée deux fois : par Alain, son ex-fiancé; et par une justice qui condamne le coupable à sept années d’emprisonnement.
Pour sonder les mécanismes à l’œuvre, Bernard Bourrit déroule les circonstances du drame, se glisse dans les pas de ses protagonistes et examine les rôles qui leur ont été attribués. Il insiste notamment sur l’ambiance rurale et étouffante de la campagne, ce “pays à vaches” où chacun surveille et juge la vie des voisins.
Un territoire complexe et enclavé
« On est dans un territoire qui a longtemps été enclavé, que les voies de circulation ont rendu accessible à la fin des années 1980. » Cette observation s’inscrit dans le cadre réel et sert à relier le texte à la réalité du moment, le reste demeurant volontairement flouté. Bourrit décrit une vie villageoise marquée par les saisons, le travail et l’émergence de la modernité.
Écrire à coups d’échos
La composition narrative s’inspire d’une logique cubiste. Détruire tout se construit comme un réseau de fragments, sans points ni majuscules, dont les éclats de phrases s’entrechoquent pour en saisir les contours. Les sources documentaires nourrissent le récit et l’archive est intégrée à la langue, afin de rendre compte d’un réel qui ne se laisse pas saisir par les sciences humaines seules. Par moments, un enquêteur prend la parole pour organiser les pistes, souligner les hypothèses et déconstruire les stéréotypes.
Maintenant qu’il a construit son triangle père-fille-gendre, il peut serrer les écrous — on sait que: 1) André sympathise avec Alain, sans toutefois l’envisageur comme gendre; 2) Carmen aime les garçons, dont Alain, et cela complique les choses; 3) Alain envisage le mariage, croyant qu’une union légitime pourrait le faire grandir.
Des thèmes universels de faits divers
La fiction s’empare fréquemment des faits divers, signes de leur époque (inégalités, violences familiales, précarité, système judiciaire et évolutions des mœurs). Dans Détruire tout, ces thèmes affleurent tout en élargissant la perspective narrative, afin d’ouvrir le regard sur les points de vue et leur portée.
Salomé Kiner/ld
Bernard Bourrit, Détruire tout, Éditions Inculte, septembre 2025.
