Gilberte de Courgenay renaît au Theater Neumarkt de Zurich : cabaret bilingue et satire suisse
Contexte et origine du mythe
Une revisitation scénique du personnage de Gilberte de Courgenay est présentée au Theater Neumarkt de Zurich, sous la direction de Mathieu Bertholet. Le spectacle propose une lecture contemporaine qui interroge la mémoire collective et les liens entre Romands et Alémaniques dans l’espace suisse des années 1910 à 1940.
Origine du personnage et itinéraire de sa légende
Dans les récits historiques, Gilberte Montavon était une serveuse à l’hôtel de la gare de Courgenay et aurait su entretenir morale et bonne humeur parmi les mobilisés pendant la Première Guerre mondiale. La légende s’est ensuite nourrie d’une chanson populaire, d’une pièce écrite par le Bâlois Rudolf Bolo Mäglin et d’un roman qui lui fut consacré, avant que le réalisateur bernois Franz Schnyder ne tourne le film qui contribuerait à édifier le mythe, « Gilberte de Courgenay », celle que l’on connaît dans toute la Suisse et toute l’armée.
À l’écran, le personnage évolue: de brune, Gilberte devient blonde, incarnée par Anne-Marie Blanc. On est alors en 1941 et la demoiselle au tablier contribue à relever le moral et le patriotisme du pays.
UNE MÉMOIRE INÉGALE
Pour le passé et aujourd’hui? Chantez la chanson de Gilberte devant des oreilles alémaniques et il est probable que certains puissent compléter le refrain. Du côté du Léman, le résultat est plus incertain. À Courgenay, qui est désormais jurassien, l’héroïne demeure l’héroïne locale, même si les tombes de la vraie Gilberte et de son interprète reposent en terre zurichoise.
UN CABARET BILINGUE ET SATIRIQUE
Pour sa première mise en scène germanophone, Mathieu Bertholet, passé de la direction du Théâtre Le Poche de Genève à celle du Theater Neumarkt de Zurich, a choisi d’invoquer Gilberte. « Une schnnapsidée », raconte le Valaisan. Une blague de fin de soirée qui s’avère finalement sérieuse et concrète. « Gilberte, c’est un peu moi », affirme le metteur en scène, qui voit dans ce personnage une mission de rapprochement entre Romands et Alémaniques.
Un cabaret bilingue et satirique
Sur la scène du Neumarkt, l’héroïne suisse débute en mode chorégraphique et cabaret. La troupe réarrange le café, range les tables et les chaises, se déhanche autour d’un tube d’Aromat et de fioles de Maggi, puis endosse les lourdes vareuses des conscrits avec une pointe de séduction. La dimension érotique et le regard sur l’histoire européenne s’imprègnent des codes du cabaret de Weimar, avec des clins d’œil à des morceaux comme « Sentiers valaisans », et le film de Schnyder est régulièrement projeté sur deux vieux postes de télévision. Le récit saute d’une langue à l’autre, et l’on perçoit un usage du sous-titrage comme outil scénique.
Et notre brave serveuse, comme dans l’histoire originale, renonce finalement à son amour pour Hasler, fiancé à Tilly, bourgeoise bernoise protégée par son père. Mais la figure de Gilberte n’est plus unique sur scène: elle traverse le plateau, change de perruque et de foulard, interprétée par toute la troupe dans un final qui gagnerait peut-être à être plus corsé. Gilberte apparaît comme une figure qui apaise les tensions entre langues et genres.
Texte et mise en scène: Thierry Sartoretti. Gilberte de Courgenay de Mathieu Bertholet, Theater Neumarkt, Zurich, jusqu’au 17 janvier 2026.
